MARIE-MADELEINE DE LA SAINTE BAUME (1266 – ?)
I. La jeunesse de Marie-Madeleine
Marie-Madeleine naquit le 6 juin 1266 à Saint Maximin en Provence dans un petit couvent à l’extérieur de la ville. Sa mère, sœur Marie-Thérèse, l’intendante du couvent, s’occupait de commander et réceptionner les vivres pour la communauté des religieuses.
La naissance de Marie-Madeleine au sein du couvent a soulevé moultes interrogations sur la validité du vœu de chasteté de sa mère, de multiples enquêtes furent menées mais aucune preuve de la culpabilité de quiconque ne fut apportée. Sœur Marie-Thérèse se défendit de n’avoir jamais eu une liaison corporelle avec le boulanger local, unique suspect dans l’histoire…
car c’est le seul homme qui effectuait des livraisons au couvent: la soeur fut innocentée faute de preuve mais le doute persistait. L’affaire fut close et on décida que sœur Marie-Thérèse
élèverait sa fille dans le secret.
L’éducation de Marie-Madeleine s’est donc déroulée dans les méandres de la petite cuisine et du petit bureau d’intendance où travaillait sa mère. L’apprentissage de la gestion des vivres, de leur juste utilisation et de leur partage équitable entre les sœurs fut sa principale occupation pendant les quinze premières années de son existence. Marie-Madeleine connaissait un nombre incommensurable de recettes, de la salade d’olives au gâteau de figues en passant par le ragoût de chèvre, et faisait des miracles quand il s’agissait de faire les comptes: elle maniait en effet les chiffres avec aisance à un point tel que sa mère lui confia la charge totale de l’intendance sans en parler à qui que ce soit.
« Quand j’étudiais les intégrales à troncature inversée, je me suis petit à petit rendue compte qu’il ne suffisait pas d’utiliser les variables exponentielles pour calculer les stocks de fruits du couvent. Ce fut pour moi une réelle avancée! »
2. L’exil de Marie-Madeleine
Le jour de ses quinze ans, la petite communauté du couvent prit une décision pour l’avenir de Marie Madeleine. Celle-ci ne pouvait décemment pas devenir une de leurs sœurs, la jalousie cachée depuis tant d’années à l’encontre de Marie-Thérèse était si forte qu’aucune d’elles ne l’aurait jamais accepté : pourquoi aurait-elle pu procréer et pas elles ? La décision fut donc prise de bannir du couvent la pauvre petite qui étaient à dix lieues de s’imaginer une telle haine à son égard. Les sœurs estimaient qu’à quinze ans et avec ses connaissances utiles, l’infortunée s’en sortirait.
Une nuit sans lune de l’été 1281 Marie-Madeleine fut donc conduite hors du couvent par deux sœurs volontaires. Elle prêta auparavant serment de ne jamais dire à qui que ce soit d’où elle venait et de ne jamais revenir au couvent sous peine d’être publiquement humiliée. Les deux sœurs l’amenèrent à dos d’âne jusque derrière le massif de la Sainte Baume et la déposèrent au détours d’un chemin avec un baluchon remplit de provisions, puis sans prononcer une seule parole elles s’en retournèrent au couvent.
« La peur d’affronter sa haine est plus dure à supporter que sa propre haine. »
La première nuit de Marie-Madeleine, seule à l’orée du massif de la Sainte-Baume, fut longue et pleine d’amertume. Mais dès le lendemain elle reprit le dessus et s’en alla vers le nord, seule destination acceptable si elle ne voulait pas avoir de problèmes. Au bout de quelques jours de marche elle arriva au petit village de Correns. Elle discuta avec des autochtones à la taverne locale qui lui apprirent que le Seigneur de Correns recherchait une cuisinière; elle se rendit donc à Fort Gibron où le Seigneur résidait et obtint sans aucune difficulté la direction des cuisines: il ne lui avait fallut que quelques minutes pour composer une salade qui émoustilla les papilles du Seigneur, ne lui laissant pas le choix quant à qui embaucher.
3. Le succès de Marie-Madeleine
Son jeune âge aurait pu être un handicap pour elle, mais elle su s’adapter et s’intégra sans aucun problème grâce à ses talents culinaires hérités de sa mère : la renommée de son aptitude à préparer des plats succulents pour le seigneur du fort et son entourage se répandit comme une traînée de poudre et de nombreux curieux arrivèrent alors à Correns avec l’espoir de goûter ce que LA Marie-Madeleine préparait chaque jour. Son maître et Seigneur, heureux de voir autant de monde à sa porte mais inquiet du prix qu’allait lui coûter les festins qu’il se devait d’organiser afin d’augmenter son prestige, demanda à Marie-Madeleine d’inventer un gâteau unique qu’elle devrait confectionner en grandes quantités. Son idée était de créer une gourmandise locale qui serait connue à travers tous les Royaumes, espérant ainsi tirer quelques profits substantiels.
Marie-Madeleine, en experte culinaire qu’elle était, ne mit pas longtemps à trouver ce que son maître voulait: facile à faire, économique mais exquis, tel était le petit gâteau qu’elle inventa. Il était en forme de coquillage, de couleur dorée et son arôme sidéra littéralement le goûteur du Seigneur de Correns. La production en masse commença alors et les gourmets se ruèrent aux portes du Fort Gibron, apportant ainsi de confortables revenus financiers. Le Seigneur de Correns décida de rendre honneur à sa servante et décida de nommer officiellement
ce petit gâteau « madeleine ».
« Avec le regard qu’il a quand il me regarde, je me demande ce qu’il fait à mes madeleines
quand il est seul. » (d’après un garde des cuisines)
4. La désillusion de Marie-Madeleine
De plus en plus de monde venait à Correns découvrir la madeleine de la Sainte-Baume. Marie-Madeleine ne sortait plus de sa cuisine tant elle devait cuire des madeleines et maglré l’aide de tous les garçons et filles sous ses ordres, elle ne connut que peu de repos: les fourneaux du chateau n’avaient plus de secrets pour elle et son succès était désormais incontestable. Mais le besoin de reconnaissance de Marie-Madeleine et son envie de satisfaire les autres ne lui portèrent pas chance. En effet, puisqu’elle était la seule à réussir à faire ce gâteau et qu’elle dépendait de la bonne volonté de son maître, elle resta cloîtrée pendant près de trente ans dans la cuisine du Fort Gibron. Jamais pendant cette période elle ne sortit à l’extérieur, jamais elle n’eût le plaisir de rencontrer un seul amateur de madeleines mis à part son maître qui venait contrôler la qualité de son travail, jamais elle ne pu retourner au couvent de Saint Maximin pour montrer aux sœurs de quoi elle avait été capable toute seule, jamais elle ne revit sa mère…
« Marie-Madeleine est bien trop occupée à confectionner des madeleines pour vous, mais soyez assurés que dès qu’elle
aura le temps, elle vous fournira de plus amples informations sur sa vie. » (le Seigneur de Correns)
Ses prières adressées au Très Haut et à Aristote ne furent jamais entendues durant ces longues trente années. Son nom était connu de tous mais personne ne l’avait vu, et ceux qui avaient vu son visage quand elle était arrivée à Correns ne pouvaient donner de détails, tant cela faisait longtemps qu’elle avait paru au grand jour. Des rumeurs commençaient à circuler sur son compte, certains pensaient par exemple que Marie-Madeleine n’avait jamais existé et que le Seigneur de Correns était un sorcier qui envoûtait les visiteurs avec ses gâteaux empoisonnés. Cette rumeur fut d’ailleurs celle qui brisa l’isolement de Marie-Madeleine. La réputation de son maître commençait à lui coûter cher, la vente des madeleines commençait à faiblir : tout le monde voulait voir celle qui les cuisinait, l’attention était dirigée uniquement sur elle et non plus sur ses gâteaux et son maître. Alors ce dernier céda à la pression et organisa une cérémonie de présentation.
5. La fuite de Marie-Madeleine
Nombreux étaient ceux qui vinrent assister à la cérémonie de présentation de Marie-Madeleine le 12 décembre 1311: la cour du Fort Gibron était pleine à craquer et la foule débordait tout autour, envahissant chaque recoin de Correns. Marie-Madeleine avait beaucoup de mal à surmonter sa peur de rencontrer ses admirateurs et avait passé la nuit en prière pour y puiser sa force. Son maître avait senti sa peur, et ayant pensé à tout ce qui entourait ses propres intérêts avait posté des gardes devant la cuisine où elle avait sa couche pour l’empêcher de se dérober à la cérémonie. Sans doute aurait-il du la laisser fuir car le lendemain quand elle vit l’assistance lors de la cérémonie, elle fut submergée d’effroi : tous étaient obèses! Du plus jeune au plus vieux, hommes et femmes, riches et pauvres, tous avaient un corps difforme et adipeux.
Marie-Madeleine comprit soudain que ce phénomène avait été causé par ses propres madeleines délicieusement composées de beurre bien gras. Mais il était beaucoup trop tard pour revenir en arrière, ces gens en avaient tellement mangé! lle prit conscience de la situation et parvint à s’enfuir de Correns en courant avec toute l’énergie dont elle disposait. Le ventre lourd de gateaux, ses poursuivants abandonnèrent leur poursuite et on n’entendit plus jamais parler de Marie-Madeleine.
« Si jamais je la choppais celle-là, je lui donnerais ma brioche à bouffer. »
(Gilbert Vésicule, entendu le jour de la fuite de Marie-Madeleine)
6. L’enquête de l’Ordre Teutonique sur Marie-Madeleine
Une cinquantaine d’années plus tard, des membres de l’Ordre Teutonique eurent vent de l’histoire et s’y intéressèrent de très près. Après avoir ouvert une enquête, interrogé les habitants de Correns et consulté les archives du Fort Gidron, ils se firent une opinion toute aristotélicienne de ce qui était arrivé à la disparue. Abandonnée par les sœurs du couvent où elle est née, elle a réussi malgré elle à être connue à travers tous les Royaumes. Séquestrée dans sa cuisine par son maître, elle s’est évertuée trente longue années à fournir à ses admirateurs de somptueuses madeleines en sacrifiant sa propre vie. Elle aura vécu à travers ses créations pour apporter le bonheur.
Elle avait fait preuve d’amitié et de don de soi en se consacrant à la confection de son fameux gateau, de conservation en trouvant le moyen de subsister, de tempérance en acceptant sa condition et en obéissant à son maître, de justice en essayant de faire le plus de madeleines possible pour que chacun en ait, de plaisir en faisant ce qui lui plaisait c’est-à-dire cuisiner et de conviction en croyant qu’agir tel qu’elle le faisait rendrait le monde meilleur, et pendant tout ce temps là les admirateurs de madeleines péchaient à outrance ! Le Seigneur de Correns en premier lieu : égoïste parce qu’il ne pensait qu’à sa propre richesse et envieux parce qu’il s’est attribué tous les mérites de Marie-Madeleine. Mais les admirateurs de madeleines n’étaient pas innocents non plus: égoïstes parce qu’ils ne pensaient qu’aux madeleines et non à Marie-Madeleine, gourmands parce qu’ils se sont gavés de ces gâteaux et adeptes de la luxure en abusant des plaisirs de la chair.
La punition fut générale : le Seigneur de Correns a perdu son unique source de revenus et de prestige et tous ceux qui ont abusé des madeleines sont emplis de remords et de regrets. La pauvre Marie-Madeleine, voyant les conséquences désastreuses de l’utilisation abusive de sa création, a réagit le plus logiquement du monde en s’enfuyant ce jour là. Mais elle n’est pas partie sans rien laisser: il faut savoir qu’elle était parvenue à théoriser mathématiquement la technique utilisée avec son fouet pour préparer la pâte à madeleines: v = (Im(f*)df/dx)/|f|², or nombreux sont les charpentiers de tous les royaumes à avoir gravé cette formule sur des rames, nul ne sait pourquoi il fallait qu’ils le fasse sur une rame mais toujours est-il que ce fut le cas. Le jour où Marie-Madeleine prit la fuite de Fort Gibron, toutes ces rames se volatilisèrent et la formule fut oubliée de tous! Puis, une trentaine d’années plus tard, certaines personnes se mirent à assister à un phénomène étrange:une rame apparaissait la nuit chez eux (et ce de façon aléatoire), et la formule était toujours gravée dessus. Seul Aristote peut avoir une logique suffisante pour appréhender et comprendre ce phénomène, le Seigneur souhaite-t-il que la madeleine fasse sa réapparition afin de tester une seconde fois les humains?
7. La grotte de Marie-Madeleine
Une expédition fut donc envoyée le 24 avril 1362 dans les environs de Correns afin de trouver où avait pu aller se cacher Marie-Madeleine. Le massif de la Sainte-Baume fut ratissé au peigne fin et au bout de longs mois de recherches infructueuses l’expédition tomba sur une grotte isolée, dans un escarpement discret du massif. Au fond de la grotte ils trouvèrent un squelette. Ils l’analysèrent longuement et réussirent à déterminer que c’était celui d’une femme. Puis en fouillant un peu plus dans la grotte ils découvrirent les vestiges d’une cuisine avec des moules en forme de coquillage, exactement identiques à ceux conservés dans l’aile «Marie-Madeleine» du musée de Correns, ainsi qu’une rame avec une
inscription effacée dessus. La déduction fut donc aisée et unanime, ils étaient bien en possession du corps de Marie-Madeleine de la Sainte-Baume!
Voilà maintenant bientôt un siècle que les rames reviennent, les plus grands mathématiciens sont sur l’affaire et essayent de décrypter cette formule.