A LA RECHERCHE DU PAPE
La nuit était sans étoiles, il n’y avait personne dans les rues du village, aucun bruit ne venait troubler la quiétude des
genevois qui dormaient paisiblement.
Un homme seul titubait, il sortait de la taverne de dame Mélusinette et se dirigeait vers la cathédrale avec peine. Il portait une soutane : c’était MrGroar qui regagnait ses pénates après une journée de labeur intense au diocèse. Quand il arriva devant le porche il trébucha sur la première marche et mit un temps horriblement long à gravir les autres. Parvenu au à la porte il chercha son trousseau de clefs dans sa besace, il finit par le trouver après de longues minutes de recherche intensive et réussit à en porter une clef à la serrure.
Pas la bonne. Une autre.
Pas la bonne non plus. Une autre.
Grr, pas la bonne. Il réessaya la première et la mit cette fois à l’endroit quand il s’aperçut qu’il n’y avait plus de serrure. Il s’affala donc sur la lourde porte dans l’espoir de l’ouvrir et s’étala par terre : il n’y avait plus de porte non plus. Il se releva péniblement et se dirigea à tâtons dans la direction des escaliers en tendant les mains, espérant trouver un des bancs afin de se guider. A l’endroit précis du premier banc il chercha l’accoudoir et perdit l’équilibre pour finir une seconde fois à terre : plus de bancs… Se relevant une deuxième fois il parvint à rejoindre le bas de l’escalier qu’il commença à escalader. Arrivé en haut il faillit tomber dans le trou positionné sous les cloches, il tenta de se rattraper à la corde mais tomba : plus de cordes ni de cloches. Arrivé de nouveau au rez-de-chaussée, il se rappela que son lit était aux sous-sols, armé de patience et de sang-froid il alla à l’autre escalier, celui qui descendait. Mais une deuxième chute vint agrémenter son périple : l’escalier avait aussi disparu.
MrGroar était donc là, allongé par terre, à moitié assommé et réalisant qu’un cambriolage de grande ampleur venait d’avoir lieu dans sa belle cathédrale, le désespoir l’atteignit et il se roula par terre, pleurant à chaudes larmes et remuant le sable avec ses mains (on avait aussi volé le parquet). Soudain il sentit quelque chose de dur, surpris il se mit à genou et fouilla le sable ; il finit par déterrer un vieux livre tout délabré. Il s’assit alors en lotus et, ne sachant pas quoi faire d’autre, ouvrit le livre. Il s’agissait d’une des premières éditions du Livre des Vertus de l’Eglise Aristotélicienne. En parcourant au gré du hasard les pages il tomba nez à nez avec un passage qui parlait du Pape, la page était déchirée et juste le titre ainsi que la première ligne étaient lisibles : « Le Pape … ».
La perspective d’obtenir une certaine somme d’argent en vendant cet exemplaire d’une valeur inestimable et ainsi de pouvoir remeubler la cathédrale l’enchantait, mais découvrir ce que l’article pouvait bien vouloir dire au sujet du Pape l’excitait encore plus. Il referma le livre et se mit à réfléchir autant qu’il le pouvait et il finit par s’endormir.
Il se réveilla en sursaut. Il faisait encore nuit. Alors que ses pupilles commençaient à s’acclimater à l’obscurité, il distingua une vague forme floue se former devant lui. Il écarquilla les yeux, se les frotta, se pinça le bras mais du se rendre à l’évidence : il était bien victime d’une apparition, une vision, un mirage. La forme prit l’apparence d’un humain, vêtu d’une grande robe blanche, il tenait dans sa main un sceptre majestueux. Soudain l’apparition s’adressa à lui d’une voix faible mais distincte : « Je suis le Pape et je suis omniprésent, je sais tout sur vous, j’entends tout ce que vous dites mais vous ne m’attraperez jamais ! ». Puis il disparut en un instant. L’évêque se redressa sur ses deux jambes, mit sa main à son front pour vérifier sa température mais du se résoudre à accepter la vérité : il venait de voir apparaitre le Pape dans le sous-sol de la cathédrale de Genève et celui-ci venait de le mettre au défi de l’attraper. Enfin de l’action ! Il remonta alors à la surface et décida promptement de se mettre à la recherche du Saint Père. Il fouilla chaque recoin de la cathédrale, ce qui était facile puisque plus rien ne subsistait suite au cambriolage. Il monta au clocher, inspecta toutes les coursives, les alcôves, les corniches, le baptistère, l’autel, le hall d’entrée, les alentours proches, chaque buisson bordant l’édifice, monta sur le toit et n’ayant pas vu la moindre trace du Pape il s’assit alors sur une gargouille. Entendant un bruit venant du haut du clocher, il commença à l’escalader de façon dangereuse mais néanmoins nécessaire. Arrivé en haut il aperçut dans une fissure de la flèche un petit humanoïde ressemblant fortement au Pape qu’il avait vu au sous-sol ; il plaqua sa main sur la fissure et chercha dans une poche de sa soutane un petit sachet qu’il mit au dessus de sa main. Puis il retira rapidement sa main et frappa avec sur la pierre, il sentit un mouvement dans le sac qu’il retira alors et referma soigneusement.
Tout en redescendant, il avait un énorme sourire aux lèvres et ne cessait de répéter « J’ai attrapé le Pape ! » un peu comme une chanson de victoire. Il fila directement dans son bureau et convoqua le conseil diocésain de Genève composé de Yohann65 et de Caligula. Ceux-ci, comprenant l’urgence de la situation à la lecture de la missive que leur avait apportée le messager, accoururent et se présentèrent à MrGroar. Il leur expliqua alors ce qu’il lui était arrivé la nuit précédente et sortit son petit sachet.
– Là dedans se trouve le Pape mes frères ! Je vais vous le montrer pour vous le prouver et ensuite nous contacteront Rome et leur annonceront la bonne nouvelle !
– Oui, montrez-nous donc le Pape Monseigneur !
Il défit le petit nœud, écarta la lanière et ouvrit le sachet. Les deux conseillers se penchèrent en même temps afin de voir le Pape puis ils se redressèrent, l’air ahuri.
– Il n’y a rien dans votre sachet, s’étonna le premier.
– En effet il n’y a rien, confirma le second.
L’évêque jeta alors un coup d’œil puis jeta le sac sur le mur.
– Sapristi ! Je vous jure pourtant sur la tête du Très Haut qu’il était bien dans le sachet jusqu’à ce que vous arriviez !
Il s’assit sur son siège et réfléchit pendant que les deux conseillers hésitaient du comportement à avoir face à un tel problème. Mais l’évêque fut plus rapide et s’écria alors :
– Puisque vous ne me croyez pas, je vous ordonne de chercher avec moi une seconde fois, et cette fois, pas question de le rater ! Nous allons chacun prendre un sachet que je vais bénir et nous allons inspecter toute la ville ! Allez hop au boulot.
Les deux conseillers se regardèrent dans le blanc des yeux, ne sachant que répondre à cela, mais finalement obéirent et se lancèrent à la recherche du Saint Père, armés d’un sachet béni. Pendant une semaine ils retournèrent chaque recoin de Genève en vain. Ils firent une deuxième inspection sous l’impulsion de MrGroar mais sans trop de conviction. Cependant, l’évêque finit par retrouver le Pape sous une chope dans une taverne. Il s’appliqua tant et si bien qu’au bout de deux heures il avait réussi à le mettre dans son sachet et courut aussitôt à l’église pour convoquer une nouvelle fois le conseil diocésain mais aussi les curés d’Annecy et de Genève, Hoys et Marcello, ainsi que son archi diaconesse Satisse. Lorsqu’ils furent tous réunis devant lui quelques heures plus tard, il expliqua de nouveau l’histoire pour ceux qui n’étaient pas au courant et, ne voulant pas trop faire durer le suspense il ouvrit son sachet délicatement et le présenta aux regard de chacun.
Silence.
– Ne me dites pas qu’il s’est encore échappé ?!?
Les cinq opinèrent du chef et MrGroar jeta violemment le sachet par terre.
– Mais c’est pas possible ça alors ! Je vais y arriver je vous dis… Et ainsi l’Eglise Aristotélicienne aura un Pape qu’elle pourra consulter quand elle le voudra ! Grâce à moi ! A nous je veux dire… Nous sommes six maintenant, nous pouvons étendre les recherches à tout le diocèse de Genève.
Désespérés mais résignés, les cinq témoins qui ne pouvaient témoigner de rien se séparèrent le diocèse en cinq et partirent à la recherche du Saint Père, toujours armés de leur petit sachet béni. Pendant de longues semaines ils écumèrent le diocèse, ratissant la moindre parcelle de terre, interrogeant chaque fidèle et dormant le jour en espérant avoir également une vision. Mais rien de rien, ils ne trouvaient rien. Ils envoyèrent des courriers à MrGroar, lui demandant s’ils pouvaient arrêter les recherches, mais ils n’obtinrent aucune réponse. Redoutant la colère de leur supérieur, ils persévérèrent, en vain. Alors une réponse arriva : « Mes frères, rejoignez moi à la cathédrale : j’ai attrapé le Pape dans un tonneau dans une ferme abandonnée. Au plus vite. » Quand ils arrivèrent, l’évêque était enfermé dans son bureau et la garde épiscopale filtrait les entrées. Ils furent introduits et découvrirent MrGroar assis sur un tonneau bien fermé.
– Ce coup-ci, vous allez voir ce que vous allez voir ! Regardez par vous-mêmes, comme ça vous ne penserez pas que je vous entourloupe.
Il se leva et les laissa s’approcher et ouvrir le tonneau. Sur de lui, il feuilletait innocemment une vieille édition de la Plume Savoyarde, attendant leur réaction. Mais quand ils se retournèrent vers lui, l’air gêné et hésitant, il eut un affreux doute et se précipita vers le tonneau, se penchant et mettant la tête presque au fond.
– Sacrebleu d’Averroès de Spinoza de Phooka de… Aaaaaaaaaaaargh ! Mais pourquoi le Pape se fiche-t-il de moi de la sorte ? Qu’ai-je fait pour mérité cela ?
Il fondit en larme, tomba sur ses genoux et se recroquevilla. Personne n’osait rien dire ni faire. Quand les spasmes de l’évêque prirent fin, il se releva et plissa sa robe. Il se gratta la barbe qu’il n’avait pas et finit par définir marche à suivre.
– N’abandonnons pas : demandez aux fidèles de vous aider, moi de mon côté je vais contacter Méléagant et Huon les archevêques de Vienne et de Besançon qui sont mes supérieurs les plus proches. Ils m’aideront !
Chacun partit de son côté, MrGroar avait l’air décidé mais les autres semblaient dépités. Devant une telle annonce, nombreux furent les fidèles qui répondirent présent à l’appel : quand bien même seul MrGroar paraissait convaincu de son histoire chacun voulait sa part de gloire ! Partout en Savoie et en Confédération Helvétique des femmes et des hommes passaient leur temps à chercher le Pape dans des endroits tous plus improbables les uns que les autres. Cela dura pendant des mois et des mois sans que la moindre trace du Pape ne fût découverte. Plus personne n’avait de nouvelles de l’évêque de Genève et Méléagant et Huon commençait à s’inquiéter. Mais un jour il réapparut sur la place de la cathédrale, il conduisait une charrette qui contenait un coffre en bois scellé. Il resta assis sur le coffre pendant trois jours à attendre qu’un maximum de monde le rejoigne, ne se nourrissant que de ce que pouvaient lui apporter quelques généreux fidèles. Quand il estima qu’il y avait assez de monde, il se leva et s’adressa à la foule.
– Mes amis, ce jour est à marquer d’une grande croix blanche ! Aujourd’hui le Pape va se présenter à vous !
Il descella lentement le coffre, le tourna face à l’assemblée et l’ouvrit, le penchant afin que chacun puisse voir.
Grand silence profond, parsemé de petits rires au loin.
L’évêque, n’osant même pas regarder à l’intérieur du coffre, descendit de la charrette et parti pleurer dans son bureau. Personne ne vint le voir. Le lendemain il sortit et retourna à sa charrette. Quelques groupes de la foule présente la veille étaient encore là, ils avaient passer la nuit à boire et à chanter afin d’oublier l’espoir qu’ils avaient ressentit. MrGroar monta sur le coffre et, debout, clama à qui voulait l’entendre :
– Mes sœurs et mes frères, je pars obtenir audience de l’Empereur LongJohnSilver afin de relancer les recherches du Saint Père ! Je vous invite à vous organiser ici pour recommencer la traque, ma décision est prise : je continuerais tant que j’aurais pas relevé le défi que le Pape m’a lancé !
Puis il partit.
Des nouvelles parvinrent du palais impérial deux semaines plus tard : l’empereur avait accordé à MrGroar des pouvoirs sur l’armée impériale afin de clore avec succès les recherches. Partout des soldats, accompagnés de fidèles et de curieux, furetaient, fouillaient, retournaient, démontaient, déplaçaient, creusaient, espionnaient dans le but de trouver le Saint Père… Cela dura quelques années au bout desquelles il ne resta pas grand-chose des différentes expéditions qui s’étaient arrêtées ça et là pour fonder des familles ou des villages communautaires, par lassitude. Puis un jour, on commença à entendre parler d’une caravane menée par un prêtre à l’allure fatiguée, et finalement apparut à Genève MrGroar escorté de dizaines de personnes. Plusieurs attelages autour de lui semblaient protéger ce qu’il transportait dans un coffre en métal fermé par de bizarres serrures. En quelques jours ce furent des centaines et des centaines de fidèles qui rejoignirent cette ville dans l’espoir d’enfin voir le Pape, car il s’agissait bien de cela !
L’ouverture du coffre prit un certain temps. Quelques heures. Et quand enfin MrGroar exhiba l’intérieur du coffre à la foule en délire, il y eut une des plus intenses minute de silence que le monde n’ait jamais connu. Comprenant ce qui se passait l’évêque se tortilla sur place effectuant une danse inconnue de quiconque et tomba par terre, en léthargie profonde. Les meilleurs médecins s’occupèrent de lui dans l’espoir qu’un jour il pourrait expliquer pourquoi il s’acharnait autant à vouloir répondre à un défi aussi absurde et vain. Quand enfin il se réveilla, il ne laissa le temps à personne de l’interroger et s’enfuit en criant :
– Je cours à Rome, ma quête n’est pas finie !
A Rome, il rencontra les cardinaux lors d’une séance extraordinaire de la Curie décidée par Jeandalf, Eckris, Lorgol et PaterSanGiovanni: ça n’était pas tout les jours que quelqu’un affirmait à cent pour cent avoir vu le Pape, cela méritait réflexion ! Lorsque la séance prit fin, des messagers partirent aux quatre coins des Royaumes pour demander à chaque grand maître, archevêque, évêque, vidame, abbé, chanoine, diacre mais aussi chaque duc, comte, baron, maire de lancer des recherches poussées du Saint Père. Des croisades se formèrent instantanément dans toutes les directions. Presque plus personne ne s’occupait des ses champs ou de son échoppe, les brigands n’avaient plus grand monde à brigander, les maires se retrouvaient à administrer des villages vides… On connut la plus grande famine jamais envisagée, des ruines s’étalaient à perte de vue, des broussailles recouvraient les routes… L’humanité avait fait un bond de plusieurs siècles en arrière !
Mais un jour, après deux ou trois dizaines d’années, on commença parmi les rescapés à se rappeler de celui qui avait était à l’origine de tout ça. Mais où donc était passé MrGroar ? Pas d’inquiétude mes amis, car je peux vous dire qu’il est revenu à Genève ! Suivit de quelques lépreux, loqueteux et miséreux il réapparut en effet. Il traînait derrière lui une petite remorque dans laquelle il y avait un bloc de métal dans lequel il avait emprisonne le Pape. Devant un tout petit comité, faute de survivants, il fit fondre l’objet dans un grand bûcher.
– Au moins là il ne se sauvera pas : on analysera ses cendres et on verra bien alors que j’avais raison !
Malheureusement personne ne pu retrouver une quelconque trace de cendres du corps du Saint Père… Les quelques personnes qui avaient assisté à l’évènement s’immolèrent et MrGroar se retrouva seul, en pleine déprime. Il retourna dans ce qu’il restait de son bureau et chercha dans les décombres la vieille édition du Livre des Vertus qui était à la source de tous ses soucis. En l’ouvrant un bout de page tomba au sol. Il la ramassa et lu ce qui était écrit dessus. Une seule phrase.
Elle disait: « …n’existe pas. »
FIN